NOTE D'INTENTION
PARADOXES
Il y a quelque temps ce voyage à Bellac… j’étais
en préparation d’Ondine… j’allais
y jouer Molière, ce ne fut pas le dernier paradoxe…
Je retrouvais là un lieu d’enfance
et de vacances ? une nature à la douceur sombre,
une vie rugueuse et simple, des vallonnements raides
et silencieux, «mystérieux», telles étaient
mes sensations en culottes courtes… à huit
ans je n’avais pas encore le sens du paradoxe
mais là-bas je me disais déjà :
«les
jours tombent et les nuits se lèvent».
Bellac… la maison de Giraudoux est haute et
droite, bordant une sorte de grande route où les
camions ébranlent à leurs passages les
cadres des tableaux, une maison désormais séparée
violemment de son village, de sa nature.
Là-haut dans une petite pièce carrée,
un bureau simple.
Giraudoux pessimiste et désinvolte, écrivait,
nous parlait de l’homme et de la nature… les
camions ne passaient pas encore, ne tuaient ni la voix
des sources ni le chant des oiseaux.
La voix des sources… le chant des sirènes,
y fus-je sensible ?
Je connaissais mal l’œuvre de Giraudoux
et j’avais de vilains a priori sur Ondine, les
a priori de la «petite connaissance» et
du généralisme.
Un jour une belle dame est venue
me voir dans ma loge, elle voulait jouer Ondine et
que je l’aide à raconter
cette belle histoire.
Elle me parla, espiègle, sauvage, réservée,
spontanée, oui insaisissable, bondissante, si
proche de la transparence des petites sources et des
fonds noirs des petits ruisseaux.
C’était
Laetitia Casta.
Alors je lus et relus Ondine, «féerie
ruisselante», «opéra rentré» disait
Giraudoux.
Petit à petit je rentrais dans
un temps à «montres
molles», un temps dont un enchanteur se jouait,
on pouvait penser à Harry Potter ou Matrix,
mais ici l’illusionniste était sans accessoire,
si ce n’est une langue robuste, légère
et gracile, luxuriante et soudaine, nue «comme
inondée d’une eau qui n’a touché que
l’eau», une langue à fleur de peau, à fleur
de l’eau.
Sans doute une langue précieuse
et ornementale «normalienne» pour ceux
qui ne savent pas regarder lentement la nature au rythme
d’un petit village obscur et calme du centre
de la France.
Alors j’ai voulu comme Hans, comme
tout chevalier errant, partir et jacasser dans et autour
de la pièce,
tenter d’aller par-delà la forêt
noire, briser l’obscure vérité et
rechercher la transparence…
Jacques Weber
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